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26/03/20
Contract and Covid-19: an update on the “unforeseen”.
This news flash is written in french.
Le nouvel article 1195 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations intervenue en 2016, a vocation à s’appliquer lorsque des circonstances imprévisibles viennent bouleverser l’économie initiale du contrat : ce que l’on appelle « l’imprévision ». Il incite alors les parties à résoudre la difficulté par elles-mêmes au moyen d’un accord. Cependant, en l’absence d’un tel accord, chacune des parties peut en appeler au juge. C’est là une importante nouveauté par rapport au droit antérieur.
La portée de cette nouveauté est d’autant plus vaste qu’elle concerne a priori tous les contrats, sauf dispositions particulières (v. C. civ., art. 1105, al. 3 ; v. égal. l’art. L. 211-40-1 C. mon. fin., qui en exclut les opérations sur les titres et les contrats financiers antérieures au 1er oct. 2018). Sont tout particulièrement concernés les contrats s’exécutant sur une certaine durée : contrats de fourniture, contrats de prestation de service, contrats de bail …
Or de très nombreux contrats ont été perturbés par la pandémie de Covid-19. Tombent-ils pour autant sous le coup de l’article 1195 ? Dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences pour les cocontractants ?
La première question invite d’abord à s’interroger sur la date de conclusion du contrat. En effet, l’article 1195 n’est applicable qu’aux contrats conclus après le 30 septembre 2016. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 n’y sont donc pas soumis. Cela étant, au cas où un contrat antérieur ferait l’objet d’une reconduction ou d’un renouvellement après le 30 septembre 2016, l’article 1195 devrait en principe s’appliquer au nouveau contrat qui en est issu. Par exemple, un contrat de fourniture conclu le 1er décembre 2015 pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation préalable échappe à l’article 1195. En revanche, à défaut de dénonciation préalable, le contrat issu de la reconduction à compter du 1er décembre 2016 relève de cet article.
Une fois la date de conclusion du contrat identifiée, il faut se demander si les différentes conditions d’application du texte sont réunies. La première d’entre elles est l’intervention d’un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». A l’évidence, l’épidémie de Covid-19 est constitutive d’un changement de circonstances. Il restera néanmoins à vérifier que ce changement était imprévisible au moment de la conclusion du contrat (v. notre Flash info sur la force majeure) et, le cas échéant, lors de sa reconduction ou de son renouvellement.
La deuxième condition tient à ce que le changement doit rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie ». Cette condition d’excessive onérosité renvoie vraisemblablement à un déséquilibre suffisamment grave. Elle est donc remplie en cas de très forte augmentation des coûts supportés par un contractant pour exécuter sa prestation : par exemple, le cours des matières premières impactées par la crise, le prix des produits de première nécessité, ou encore les tarifs des prestataires ou des fournisseurs soumis à des restrictions.
Et cette hypothèse n’est sans doute pas la seule envisageable. Il est probable (mais ce point est un peu discuté) que la condition sera également remplie dans le cas, inverse, où la prestation de l’autre partie au contrat a perdu une très grande partie de sa valeur. Par exemple, lorsque le contrat porte sur la fourniture d’un produit qui n’est presque plus demandé sur le marché en raison des mesures de restriction, ou dont la valeur tient essentiellement à une composante dont le cours a chuté par l’effet de la crise.
Mais faut-il aller plus loin et considérer que la condition d’excessive onérosité est remplie indépendamment de toute variation de valeur, du seul fait que le contrat a perdu une grande partie de son intérêt économique pour l’une des deux parties ? Supposons un contrat portant sur des services dont la valeur intrinsèque est inchangée mais dont le client n’a quasiment plus besoin par suite de la crise ; par exemple, un contrat portant sur des prestations de surveillance d’entrepôts qui sont devenus inexploités du fait de la crise. L’article 1195 s’applique-t-il dans un tel cas ?
Une réponse négative est fort probable, car le seul fait que le contrat ait perdu son intérêt pour une partie n’implique pas un déséquilibre économique intrinsèque. C’est alors plutôt un autre texte qui pourrait être exploité : l’article 1186, qui prévoit que le contrat est caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Le client pourrait ainsi soutenir que l’utilité économique du contrat est un élément essentiel du contrat et que, dès lors que cet élément a disparu, le contrat doit prendre fin. Cette piste est toutefois très aléatoire, car la notion d’élément essentiel du contrat est floue et très débattue.
Reste, enfin, la troisième condition : il faut que la partie affectée par l’excessive onérosité n’ait pas accepté d’en « assumer le risque ». En d’autres termes, l’application du texte est exclue lorsqu’il résulte de la convention que le cocontractant a assumé le risque de survenance d’un changement imprévisible entraînant une excessive onérosité. Cette acceptation peut résulter d’une stipulation expresse. Elle peut aussi ressortir du contrat de façon implicite, notamment des termes d’une clause forfaitisant les prix.
Que se produit-il, ensuite, lorsque les conditions de l’article 1195 sont réunies ?
D’abord, la partie affectée « peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Cela ne signifie évidemment pas qu’elle est autorisée à cesser d’exécuter ses obligations. Bien au contraire, il ressort clairement du texte que chacune des parties doit continuer à exécuter le contrat durant la renégociation. Ensuite, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander ensemble au juge de procéder à son adaptation.
Ce n’est qu’à défaut d’un tel accord dans un délai raisonnable que la spécificité du mécanisme se fait le plus sentir. En effet, en pareil cas, « le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». Il dispose donc d’une assez grande marge de manœuvre qui lui permet (le cas échéant au vu d’une expertise) d’opérer sur le contenu du contrat, spécialement sur le prix, ou d’en ordonner la cessation.
Cette marge de manœuvre devrait toutefois logiquement être limitée par l’excès qu’il s’agit de corriger. Par exemple, en l’état d’une prestation dont le coût d’exécution a augmenté de 40 %, le juge ne pourrait élever le prix au-delà de cette proportion, sauf à ce que d’autres déséquilibres le justifient. Il est donc probable qu’il ne pourrait pas augmenter la marge du contractant à due proportion, puisqu’il s’agit seulement de neutraliser le bouleversement.
Enfin, il convient de souligner que les mesures ordonnées ne prennent pas nécessairement effet à la date du jugement. Le juge peut, au gré des circonstances, les différer ou, au contraire, les rendre applicables à compter d’une date antérieure à sa décision, c’est-à-dire rétroactivement. L’autre partie pourrait ainsi, par exemple, être tenue de verser un complément s’ajoutant aux sommes déjà payées en exécution du contrat depuis la survenance du déséquilibre.
En outre, du fait de cette éventuelle rétroactivité, il est envisageable que le contractant affecté par le changement procède lui-même à une modification de sa prestation sans attendre la décision du juge, en faisant le pari qu’elle y correspondra. Une telle position serait évidemment risquée, pour deux raisons. D’une part, elle anticiperait une issue judiciaire qui est par hypothèse aléatoire. D’autre part, l’intervention n’est vraisemblablement qu’une faculté pour le juge (ce point est toutefois discuté en doctrine) : il « peut » réviser le contrat ou y mettre fin. L’initiative du contractant pourrait donc se révéler contre-productive, incitant le juge à ne pas porter secours à celui qui a pris le risque d’agir sans son aval.
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