Décryptages
14/02/20
Les mesures de renforcement du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicables aux acteurs des secteurs bancaire, financier et assurantiel
L’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« LCB-FT ») (« Ordonnance ») est venue (1) transposer en droit français la cinquième directive anti-blanchiment, (2) compléter la quatrième directive anti-blanchiment et (3) renforcer la cohérence du dispositif français de LCB-FT. Vous trouverez ci-après une description des principaux apports de ce texte concernant les acteurs des secteurs bancaire, financier et assurantiel.
Il convient tout d’abord de souligner que le champ des personnes assujetties aux obligations de LCB-FT est modifié. Les succursales d’entités étrangères[1] du secteur financier sont désormais pleinement soumises aux obligations de LCB-FT alors qu’elles étaient auparavant soumises auxdites obligations uniquement lorsqu’elles effectuaient des opérations pour leur clientèle en France.
Concernant la mise en œuvre des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, certains facteurs de risque ont été ajoutés. Une liste de personnes, services ou produits présentant un faible risque de BC-FT sera désormais fixée par décret. L’Ordonnance vient surtout supprimer l’exigence de mesures de vigilance complémentaire dans le cas d’une entrée en relation d’affaire à distance.
S’agissant des bénéficiaires effectifs, l’Ordonnance crée une nouvelle obligation, pour ces derniers, de communiquer les informations permettant de les identifier à la société ou l’entité concernée, sous peine de sanctions. Certaines informations du registre des bénéficiaires effectifs sont désormais ouvertes au public. Un mécanisme de signalement des divergences entre les informations détenues sur le bénéficiaire effectif par différentes sources (registre, entités assujetties, autorités de contrôle) a été instauré. L’Ordonnance prévoit également des exonérations de responsabilités supplémentaires dans le cadre de cette nouvelle déclaration de divergence concernant les bénéficiaires effectifs ou encore lorsqu’un signalement d’un soupçon de BC-FT a été effectué dans le cadre du dispositif de contrôle interne. Les dispositions applicables en matière d’exonération de la responsabilité civile ou sanctions professionnelles sont également étendues aux mesures discriminatoires en matière d’emploi.
Les notions de correspondance bancaire et de compte de passage sont désormais définies.
Concernant les groupes, les échanges d’informations relatives à la réalisation de déclarations de soupçon sont étendus aux filiales et succursales de certaines entités soumises aux obligations de LCB-FT. Les catégories d’entités pouvant procéder à des échanges d’informations ont été modifiées. En outre, la localisation géographique d’établissements pouvant procéder à des échanges d’informations relatives à un même client a été restreinte. De plus, l’exemption à l’obligation de tenir au niveau du groupe une organisation et des procédures internes est étendue aux groupes dont l’entreprise mère est une société de groupe mixte d’assurance. Enfin, la transmission d’informations nécessaires à l’organisation de la LCB-FT au sein de groupes financiers ou assurantiels est étendue aux groupes incluant au moins un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique.
Nous tenons également à porter à votre attention que la nature des contrôles des autorités en matière de LCB-FT est précisée. Une approche par les risques est retenue. Les autorités de contrôle évaluent le profil de risques de BC-FT des entités contrôlées. Elles procèdent au réexamen de cette évaluation de façon périodique ou lorsque des changements majeurs interviennent dans la gestion ou les activités de ces personnes. La fréquence et l’intensité de leurs contrôles sur pièces et sur place doivent notamment être déterminées en fonction du profil de risque des entités assujetties. Les autorités de contrôle examinent les évaluations des risques mises en place par les personnes assujetties, la mise en œuvre et le caractère adéquat, selon une approche par les risques, de l’organisation, des procédures internes et des mesures de contrôle interne que ces personnes mettent en place. De plus, un système d’alerte dédié à la LCB-FT auprès des autorités de contrôle a été instauré.
Les modalités de communication entre les différentes autorités ont, par ailleurs, été renforcées, notamment en matière de gel des avoirs. De même, l’ACPR, l’administration des douanes et l’Agence française anticorruption peuvent se communiquer les renseignements utiles à l’exercice de leurs missions respectives dans le domaine de la lutte contre la corruption et la LCB-FT. Les modalités de coopération avec la Banque centrale européenne sont également précisées. Enfin l’Ordonnance vient renforcer (1) la confidentialité du droit d’opposition que TRACFIN peut adresser à toute entité assujettie aux obligations de LCB-FT au sujet d’une opération ; (2) les capacités de TRACFIN à échanger avec ses homologues étrangers ; (3) les échanges d’informations entre TRACFIN et les autres services de renseignement français.
Enfin, l’Ordonnance introduit certaines mesures spécifiques très attendues, notamment, par les professionnels de la gestion d’actifs immobiliers : les professionnels de la location immobilière seront désormais assujettis aux obligations de LCB-FT uniquement en ce qui concerne leur activité de location en exécution d’un mandat de transaction de biens immeubles dont le loyer mensuel s’élève au moins à 10.000 euros. Cette évolution entrainera nécessairement celle de la doctrine de l’Autorité des marchés financiers (i.e. position-recommandation n°2019-15).
A titre conclusif, il convient de préciser que l’Ordonnance est complétée par deux décrets d’application :
- le décret n° 2020-118 qui porte notamment sur les modalités de vérification d’identité du client pour les entrées en relation d’affaires à distance ainsi que sur la vérification de l’identité du bénéficiaire effectif ;
- le décret n° 2020-119 qui précise notamment les compétences de TRACFIN et les modalités de transmission des informations relatives au bénéficiaire effectif des personnes inscrites au RCS.
[1] Prestataires de services bancaires du Livre V, Titre I du CMF en libre établissement et en libre prestation de services ; succursales d’entreprises d’investissement ; succursales des sociétés de gestion européennes d’OPCVM et de FIA ; prestataires de services d’investissement établis dans un autre Etat membre et ayant recours à des agents liés
Auteurs :
David Masson, Avocat Associé
Thibault Jézéquel, Avocat Counsel
Sonia Oudjhani-Rogez, Avocat
Maia Steffan, Avocat
Avocats concernés :