Décryptages

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9/01/24

Mesure d’instruction in futurum et secret professionnel avocat

Cass., 1ère Civ., 6 décembre 2023, n°22-19.285

La Cour de cassation rappelle que le secret professionnel de l’avocat ne peut constituer, en lui-même, un obstacle à l’octroi des mesures d’instruction in futurum si celles-ci sont nécessaires à l’exercice du droit à la preuve, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates.

Une société a conclu avec un avocat une convention de prestations de services juridiques aux termes de laquelle elle le chargeait, moyennant un honoraire forfaitaire, de vérifier, au regard de la réglementation en vigueur, le bienfondé des cotisations réclamées auprès de ses clients par les organismes sociaux au titre des accidents du travail et maladies professionnelles.

Soupçonnant l’avocat de détournement de clientèle et de rétention de dossiers, la société a sollicité et obtenu du juge des requête l’autorisation de pratiquer des mesures d’instruction in futurum au cabinet d’un avocat consistant notamment à saisir « tous les échanges de courriers relatifs au suivi technique et juridique des dossiers sous convention [avec la société] » et « la liste des nouveaux dossiers directement ouverts [par le cabinet de l’avocat] pour les entreprises historiquement clientes de [la société] ».

Par acte extra-judiciaire, l’avocat saisi a sollicité du juge des référés qu’il rétracte l’ordonnance, annule les mesures de saisie et interdise toute communication des documents qui avaient été saisis, arguant du fait que les mesures n’étaient pas légalement admissibles car portaient sur des éléments couverts par le secret professionnel des avocats.

Débouté par le juge des référés, l’avocat a interjeté appel de sa décision auprès de la Cour d’appel de Toulouse qui, accueillant le raisonnement relatif au secret professionnel, a rétracté intégralement l’ordonnance. La Cour retenait notamment qu’aucun texte n’autorisait la consultation ou la saisine des documents détenus par un avocat au sein de son cabinet en dehors de la procédure prévue à l’article 56-1 du Code de procédure pénale.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par la société sur le fondement notamment de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (droit à un procès équitable), a cassé l’arrêt d’appel au motif :

  • d’une part, que « le secret professionnel de l’avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile» ;
  • d’autre part, que « les mesures d’instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l’avocat, sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates».

Cette décision, publiée au Bulletin, reprend donc la position historique de la jurisprudence consistant à dire que la possible saisine, dans le cadre de l’exécution d’une mesure d’instruction in futurum, de documents couverts par le secret professionnel n’est pas un obstacle en soi à l’octroi d’une telle mesure (voir notamment Cass. Civ. 1ière, 3 novembre 2016, n°15-20.495).

Le secret professionnel, consacré aux articles l’article 66-5 alinéa 1 de la loi du 31 décembre 1971 et l’article 4 du décret du 12 juillet 2005 (applicable en l’espèce)  permet à l’avocat de refuser aux tiers de prendre connaissance des documents couverts par celui-ci.

En pratique, les juges du fond distinguent ainsi le moment de la saisine des documents alors conservés en séquestre et celui de leur communication autorisant, s’agissant des documents couverts par le secret professionnel, le premier mais pas le second. Autrement dit et en application des principes susvisés, les documents saisis mais protégés par le secret professionnel des avocats ne sont pas communiqués à la partie requérante et restent séquestrés (pour une illustration CA Paris, 6 avril 2023, n°22/11647).

Dans son arrêt du 6 décembre 2023, la Cour de cassation, qui n’a pas été saisie de la question de la communication de documents couverts par le secret professionnel (et non de leur saisine), ne semble donc pas revenir sur une telle pratique.

Toutefois, et en raison de la spécificité des faits de cette affaire, il sera intéressant, dans le cas où la Cour d’appel de renvoi valide les mesures d’instruction ainsi ordonnées, de voir quels documents seront in fine communiqués à la partie requérante. En effet, en l’espèce, les documents qui seront nécessaires à l’établissement de la faute de l’avocat et qui ont été saisis sont très certainement couverts par le secret des correspondances.

Affaire à suivre, donc.

Auteurs :

  • Coline Heintz, Avocate Counsel
  • Anne Darras, Avocate Collaboratrice

Avocats concernés :