Décryptages

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9/01/24

Partage de la valeur : ce qui change pour les entreprises

La loi 2023-1107 du 29 novembre 2023 publiée au Journal Officiel portant transposition de l’accord national interprofessionnel du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur est entrée en vigueur le 1er décembre 2023.

Cette loi qui poursuit l’objectif d’assurer un meilleur partage de la valeur en entreprise auprès des salariés procède non seulement à l’aménagement de régimes d’épargne salariale existants mais prévoit également la création de nouveaux dispositifs de partage.

Entre dispositifs innovants et mesures expérimentales, ces nouveautés consacrent la volonté des partenaires sociaux de généraliser et de dynamiser le développement de l’épargne salariale, quel que soit l’effectif de l’entreprise.

Si les mesures introduites concernent en priorité les PME et TPE dont l’effectif est inférieur au seuil de 50 salariés, ces dernières bénéficieront d’un régime plus souple au regard de leurs moyens plus restreints que les entreprises de plus de 50 salariés.

Entre obligation de négocier sur le partage de la valeur en cas de résultats exceptionnels avant le 30 juin 2024, création du plan de partage de la valorisation de l’entreprise ou encore extension du régime de la participation, retour sur les mesures-phares issues de la loi Partage de la valeur applicable depuis le 1e décembre 2023 :

 

L’obligation de mettre en place un mécanisme de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à 49 salariés à titre expérimental 

Cette nouvelle obligation créée à titre purement expérimental pour une durée de cinq ans, vise les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 à 49 salariés, y compris les entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire, ayant réalisé un bénéfice net fiscal au moins égal à 1% du chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs.

Ces entreprises sont désormais tenues de mettre en place au moins un dispositif légal de partage de la valeur au cours de l’exercice suivant parmi lesquels :

  • L’instauration d’un dispositif de participation ou d’intéressement ;
  • L’abondement d’un plan d’épargne salariale ;
  • Le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV).

Cette obligation qui concernait jusqu’alors les entreprises de 50 salariés et plus, entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2025 et prendra en compte les trois exercices passés pour apprécier la condition portant sur le bénéfice net fiscal.

NB :  cette obligation ne concerne pas les entreprises de moins de 50 salariés qui appliquent déjà l’un de ces mécanismes.

 

La faculté de déroger à la formule légale de participation dans les entreprises de moins de 50 salariés dans un sens moins favorable

En contrepartie de cette nouvelle obligation, la loi institue également à titre expérimental pour une durée de cinq années jusqu’au 29 novembre 2028, la faculté pour les entreprises qui n’ont actuellement pas l’obligation de mettre en place un régime de participation, de prévoir une formule de participation pouvant aboutir à un résultat inférieur à la formule légale, ce qui n’était pas permis jusqu’alors.

Il pourrait ainsi être envisagé de modifier t un ou plusieurs des paramètres issus de la formule légale afin d’aboutir à un résultat de participation inférieur à la formule initiale.

Les entreprises auront la possibilité de mettre en place un calcul de participation dérogatoire moins favorable :

  • soit en reprenant le dispositif négocié au niveau de la branche dès lors que l’accord de branche est agréé par un accord d’entreprise ou par un document unilatéral d’adhésion si la branche prévoit cette possibilité ;
  • soit par l’intermédiaire d’un accord conclu au niveau de l’entreprise, sans que soit possible de recourir à une décision unilatérale.

 

Les nouveautés en matière de participation et d’intéressement

  • La suppression du report de l’obligation de mettre en place la participation en présence d’un accord d’intéressement

 La loi abroge l’article L.3322-3 du Code du travail disposant que lorsqu’une entreprise ayant conclu un accord d’intéressement franchi le seuil d’effectif de 50 salariés, son obligation de mettre en place la participation ne s’appliquait qu’au troisième exercice clos après le franchissement de ce seuil.

Par conséquent, les entreprises qui respectent les conditions d’assujettissement à la participation prévues à l’article L.3322-2 du Code du travail et dotées d’un accord d’intéressement en cours ne pourront plus profiter de ce report de trois ans.

En d’autres termes, dès lors qu’une entreprise atteint le seuil de 50 salariés pendant 5 années consécutives, celle-ci devra conclure un accord de participation, même si elle dispose déjà d’un accord d’intéressement.

Toutefois s’agissant des entreprises bénéficiaires du report à la date du 1er décembre 2023, celles-ci conserveront de manière transitoire ce régime dérogatoire jusqu’au terme de ce report.

  • La possibilité de versement d’avances sur participation et intéressement

Les salariés qui le souhaitent expressément pourront désormais en cours d’exercice, bénéficier du versement d’avances sur les sommes dues au titre de l’intéressement ou de la réserve spéciale de participation.

Cette possibilité doit toutefois être prévue dans l’accord de mise en place de la participation ou d’intéressement et selon une périodicité de versement qui ne peut être inférieure au trimestre.

Toutefois et afin de sécuriser l’hypothèse où les sommes avancées aux salariés s’avèrent supérieures aux droits définitifs attribués au titre de la participation ou de l’intéressement, l’employeur a la possibilité de recouvrer le trop-perçu sous la forme d’une retenue sur salaire dans la limite d’un dixième du montant du salaire.

  • La possibilité pour l’accord d’intéressement de favoriser les bas salaires

Pour permettre une meilleure prise en compte des salaires les plus modestes au sein de l’accord d’intéressement, il est désormais possible d’intégrer un salaire plancher, un salaire plafond ou les deux afin de servir de base à la répartition individuelle proportionnelle aux salaires.

 

L’obligation de négocier un partage de la valeur en cas de résultats exceptionnels dans les entreprises d’au moins 50 salariés 

Une nouvelle obligation figurant au sein du nouvel article L. 3346-1 du Code du travail est créée pour les entreprises de plus 50 salariés, pourvues d’au moins un délégué syndical, lorsqu’elles ouvrent une négociation sur la mise en place de la participation ou de l’intéressement.

Cette obligation prend la forme d’une négociation sur les conséquences d’un résultat exceptionnel de l’entreprise en lien avec le partage de valeur avec les salariés et a vocation à porter sur :

  • La notion d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal ; (étant précisé que le Conseil d’Etat a estimé dans un avis du 17 mai 2023 qu’il appartiendra au législateur d’encadrer cette négociation en fixant des critères pour définir ce qu’est une augmentation exceptionnelle du bénéfice, comme la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou les résultats des années antérieures) ;
  • Les modalités de partage de la valeur avec les salariés.

La forme du partage de la valeur devra alors être négociée au sein de l’entreprise et pourra revêtir deux aspects principaux :

  • le versement d’un supplément de participation ou d’intéressement dont les modalités devront être définies par l’accord ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation afin de mettre en place un nouveau dispositif de partage de la valeur (intéressement, PPV, abondement à un plan d’épargne salariale).

L’article L.3346-1 II° prévoit toutefois deux exceptions excluant la mise en œuvre de cette négociation spécifique dès lors que :

  • L’entreprise dispose déjà d’un accord de participation comportant une méthode de calcul plus favorable que les dispositions légales ;
  • L’entreprise a mis en place un accord de participation ou d’intéressement comprenant une clause spécifique intégrant les résultats exceptionnels.

Les entreprises pourvues d’un accord d’intéressement ou de participation au 29 novembre 2023 et entrant dans le champ d’application de cette obligation disposent jusqu’au 30 juin 2024 pour ouvrir une nouvelle négociation portant sur cette nouvelle modalité.

 

La possibilité d’instaurer un plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE)

La loi crée en outre un nouveau dispositif facultatif de partage de la valeur : le plan de valorisation de l’entreprise (PPVE).

Ce mécanisme prend la forme d’une prime destinée à refléter la valorisation de l’entreprise sur une période de trois ans.

Le dispositif concerne aussi bien :

  • les employeurs de droit privé ;
  • les établissements publics à caractère industriel et commercial ;
  • les établissements publics administratifs lorsqu’ils emploient du personnel de droit privé.

Tous les salariés de l’entreprise bénéficient du dispositif sous réserve de justifier d’une ancienneté fixée par le plan ne pouvant inférieure à 12 mois.

L’ancienneté est appréciée à la date du début de la période de valorisation fixée par le plan, et tient compte de la durée de tous les contrats de travail exécutés au cours des 12 mois précédant cette date.

Le principe de la PPVE consiste à attribuer à chaque salarié bénéficiaire un montant de référence fixé par accord, lequel pourra varier en fonction de la rémunération, de la classification ou de la durée du travail.

A l’expiration d’un délai de trois ans, chaque salarié pourra percevoir une prime correspondant à l’application au montant de référence d’un taux de variation de la valeur de l’entreprise, si ce taux est positif.

Ce pourcentage de variation correspond alors au taux de variation constaté entre la valeur déterminée à une date fixée par l’accord et la valeur de l’entreprise à l’issue du délai de trois ans.

La loi dispose que le plan de valorisation doit être instauré par accord, sur la base d’un rapport établi par le commissaire aux comptes de l’entreprise qui peut prendre la forme :

  • d’une convention ou d’un accord collectif de travail ;
  • d’un accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ;
  • d’un accord conclu au sein du CSE ;
  • à la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d’un projet d’accord proposé par l’employeur.

Les sommes versées à ce titre dans les conditions légales seront exonérées de toutes les cotisations sociales ainsi que de la cotisation perçue au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction et des contributions au financement de la formation professionnelle.

Ces primes resteront toutefois assujetties lors de leur versement à une contribution de 20% au profit de la CNAV. 

 

Les nouveautés en matière de prime de partage de la valeur (PPV)

Autrefois appelée « prime Macron », la loi apporte deux évolutions majeures à la « prime de partage de la valeur ».

D’une part, la loi prévoit la possibilité pour les entreprises d’octroyer deux primes de partage de la valeur par an aux modalités d’attribution similaires ou différentes, dans la limite des plafonds légaux actuels (3000 euros ou 6000 euros pour les entreprises ayant mis en place un dispositif d’intéressement ou de participation.)

Par ailleurs, les salariés auront désormais la possibilité d’affecter tout ou partie du montant de la prime dans un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite afin de bénéficier d’exonérations d’impôt sur le revenu dans la limite des plafonds légaux.

Pour mémoire, les primes versées jusqu’au 31 décembre 2023 aux salariés ayant perçu au cours des 12 derniers mois précédant leur versement, une rémunération brute inférieure à 3 fois la valeur annuelle du SMIC, sont exonérées d’impôt sur le revenu, de CSG/CRDS et de taxe sur les salaires.

Si la loi prévoit que cette exonération est maintenue pour les primes versées entre le 1er janvier 2024 et le 31 décembre 2026 pour les entreprises de moins de 50 salariés, aucune prolongation d’exonération n’est toutefois prévue pour les entreprises d’au moins 50 salariés.

 

L’augmentation des plafonds d’attribution des actions gratuites

Le volume total des actions attribuées aux salariés à compter du 1er décembre 2023 est désormais fixé à 15% du capital social pour les grandes entreprises et les ETI (au lieu de 10% auparavant), et de 20% pour les PME (au lieu de 15%).

Lorsque les actions bénéficient à l’ensemble du personnel, le pourcentage du volume total des actions attribuées s’élève à présent à 40%.

La loi crée également un nouveau plafond global intermédiaire fixé à 30% lorsque l’attribution d’actions gratuites bénéficie à des membres du personnel salarié représentant :

  • au moins 25 % du total des salaires bruts versés au cours du dernier exercice social ;
  • et au moins 50 % du personnel salarié de cette société.

 

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Nos équipes restent mobilisées pour vous accompagner, notamment dans la mise en place, l’ajustement et l’application de ces nouveaux dispositifs de partage de la valeur qui permettent de faire évoluer la politique sociale de l’entreprise et de rémunérer autrement les salariés.

 

Auteurs :

  • Anne-Laure MARY-CANTIN, avocate associée
  • François BELLUSSI, avocat collaborateur